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DE LOCHEILL ET BLANCHE.

songeait pas que le malheur est un grand maître, qui ploie le plus souvent sous son bras d’acier les caractères les plus intraitables. Le capitaine d’Haberville, trop fier, trop loyal, d’ailleurs pour avouer ouvertement les torts de Louis XV envers des sujets qui avaient porté le dévouement jusqu’à l’héroïsme, n’en ressentait pas moins l’ingratitude de la cour de France. Quoique blessé au cœur lui-même de cet abandon, il n’en aurait pas moins été prêt à répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang pour ce voluptueux monarque, livré aux caprices de ses maîtresses ; mais là s’arrêtait son abnégation. Il aurait bien refusé pour lui-même toute faveur du nouveau gouvernement, mais il était trop juste pour tuer l’avenir de son fils par une susceptibilité déraisonnable.

— Que chacun, maintenant, donne librement son opinion, dit, le capitaine en souriant ; que la majorité décide. Les dames ne répondirent à cet appel qu’en se jetant, en pleurant de joie, dans ses bras. Mon oncle Raoul saisit avec transport la main de son frère, la secoua fortement, et s’écria :

— Le Nestor des anciens temps n’aurait pas parlé avec plus de sagesse.

— Et ne nous aurait pas plus réjouis, dit Arché, si nous eussions eu l’avantage d’entendre les paroles de ce vénérable personnage.

Comme la marée était haute et le temps magnifique, de Locheill proposa à Blanche une promenade sur la belle grève, aux anses sablonneuses, qui s’étend du manoir jusqu’à la petite rivière Port-Joli.

— Je retrouve partout, dit Arché lorsqu’ils furent le long du fleuve, que le soleil couchant frappait de