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NOTES DU CHAPITRE SIXIÈME.

— Mon père et mes oncles étaient des hommes auxquels je n’aurais conseillé à personne de cracher à la figure.

— Et, disait Monsieur Boissonnault, je n’aurais conseillé à personne de faire la même insulte à mon interlocuteur, tout vieux qu’il était.

(l) Il n’était pas prudent, à certaines saisons de l’année, de se mettre en route à moins d’affaires indispensables, sans s’informer de l’état de la savane du Cap, il y a quelques soixante ans. J’en parlerai plus au long dans une autre note.

(m) C’était une belle dote, pendant mon enfance, que celle de la Thècle Castonguay : la fille d’habitant, qui l’apportait en mariage, était bien vite pourvue d’un époux à son choix.

(n) De nos jours encore les habitants appellent souliers français, ceux qui s’achètent dans les magasins.

(o) Je descendais, pendant une belle nuit du mois de juin de l’année 1811, à la cour de circuit de la paroisse de Kamouraska. Le conducteur de ma voiture était un habitant de la paroisse de Saint-Jean-Port-Joli, nommé Desrosiers : homme, non seulement de beaucoup d’esprit naturel, et d’un jugement sain, mais aussi très facétieux. Je le fis asseoir à côté de moi, quoiqu’il s’en défendit d’abord : mon père et ma mère m’avaient accoutumé, dès l’enfance, à traiter avec beaucoup d’égards nos respectables cultivateurs. Je ne me suis jamais aperçu que cette conduite nous ait fait moins respecter de cette classe d’hommes estimables ; bien au contraire !

Après avoir épuisé plusieurs sujets, nous parlâmes des revenants, auxquels Desrosiers croyait mordicus, avec une espèce de raison appuyée sur une aventure qu’il me raconta.

— Je rencontrai, un soir, me dit-il, un de mes amis arrivant d’un long voyage. C’était auprès d’un jardin, où avait été enterré un Canadien rebelle, auquel le curé de la paroisse avait refusé de donner la sépulture ecclésiastique[1]. Il y avait longtemps que nous nous étions vus : et nous

  1. On remarquait autrefois plusieurs de ces tombes, le long de la Côte du Sud. C’étaient celles d’un certain nombre de Canadiens rebelles, qui pendant la guerre de 1775, avaient pris fait et cause pour les Américains ; et auxquels leurs curés avaient été obligés, quoique bien à regret, de refuser la sépulture ecclésiastique, à cause de leur obstination à ne pas vouloir reconnaître leur erreur. Ces infortunés, ayant appris que les Français combattaient pour la cause de l’indépendance, s’imaginèrent à l’époque de l’invasion de 1775, qu’en se rangeant du côté des Américains, ils verraient bientôt venir les Français derrière eux. Le souvenir de la conquête était en effet bien vivace alors, et les persécutions du gouvernement n’avaient pas peu contribué à attiser les haines invétérées des Canadiens contre les Anglais. Il était donc bien naturel de voir les malheureux vaincus tourner toujours leurs regards attristés vers l’ancienne patrie, d’où ils espéraient toujours voir revenir « leurs gens. » On rapporte qu’un des rebelles étant à son lit de mort, le curé vint l’exhorter à avouer sa faute. Le mourant se soulève à demi, et le regarde d’un air de mépris en lui disant : « Vous sentez l’anglais ! » Puis il se retourne du côté de la muraille et expire.