Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
NOTES DU CHAPITRE QUATORZIÈME.

réduits à faire bouillir leur blé, pour le manger en sagamité comme font les sauvages. »

— « À la guerre comme à la guerre, ajoutait ma grand’-mère ; je veux bien vous accorder cette maxime, mais était-ce de bonne guerre d’avoir assassiné mon jeune frère Villiers de Jumonville, comme le fit au fort Nécessité, M. Washington, votre compatriote. »

— « Ah ! madame, répondait le colonel Fraser, de grâce, pour l’honneur des Anglais, ne parlez jamais de ce meurtre atroce. »

Et tous les Anglais tenaient alors le même langage.

J’ai reproché bien doucement à notre célèbre historien, M. Garneau, d’avoir passé légèrement sur cet horrible assassinat. Il me répondit que c’était un sujet bien délicat, que la grande ombre de Washington planait sur l’écrivain, ou quelque chose semblable.

D’accord ; mais il m’incombe à moi de laver la mémoire de mon grand-oncle, dont Washington, dans ses écrits, a cherché à ternir le caractère pour se disculper de son assassinat.

La tradition dans ma famille est que Jumonville se présenta comme porteur d’une sommation enjoignant au major Washington, commandant du fort Nécessité, d’évacuer ce poste construit sur les possessions françaises, qu’il éleva son pavillon de parlementaire, montra ses dépêches et que néanmoins le commandant anglais ordonna de faire feu sur lui et sur sa petite escorte, et que Jumonville tomba frappé à mort, ainsi qu’une partie de ceux qui l’accompagnaient.

Il y a une variante, très facile d’ailleurs à concilier, entre la tradition de ma famille et la vérité historique. En outre, cette variante est insignifiante quant à l’assassinat du parlementaire, dont la mission était de sommer les Anglais d’évacuer les possessions françaises et non le fort Nécessité, qui ne fut achevé qu’après le guet-apens.

Voyons maintenant si l’histoire est d’accord avec la tradition. Ce qui suit est un extrait du tome 1er, page 200, du « Choix d’anecdotes et faits mémorables, » par M. De LaPlace :

« Les Anglais, ayant franchi, en 1753, les monts Apalaches, limites de leurs possessions et des nôtres dans l’Amérique Septentrionale, bâtirent, sur nos terres, un fort qu’ils nommèrent le fort de Nécessité ; sur quoi le commandant français leur députe M. de Jumonville, jeune officier qui s’était plus d’une fois signalé contre eux, pour les sommer de se retirer.

« Il part avec une escorte ; et lorsqu’il s’approche du fort, les Anglais font contre lui un feu terrible. Il leur fait signe de la main, montre de loin ses dépêches et demande à être entendu. Le feu cesse, on l’entoure, il annonce sa qualité d’envoyé, il lit la sommation dont il est porteur. Les Anglais l’assassinent : sa troupe est enveloppée ; huit hommes sont tués, le reste est chargé de fers. Un seul Canadien se sauve et porte au commandant français cette affreuse nouvelle.

« M. de Villiers, frère de l’infortuné Jumonville, est chargé d’aller venger son propre sang et l’honneur de la France.