Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
402
LES ANCIENS CANADIENS.

conquête, racontaient que le général Murray, n’écoutant que sa haine des Français, avait insisté sur leur expulsion précipitée ; qu’il les fit embarquer dans un vieux navire condamné depuis longtemps ; et qu’avant leur départ, il répétait sans cesse en jurant : « On ne reconnaît plus les vainqueurs des conquis, en voyant passer ces damnés de Français avec leurs uniformes et leurs épées. » Telle était la tradition pendant ma jeunesse.

(f) L’auteur a toujours entendu dire que son grand-père fut le seul qui obtint un répit de deux ans pour vendre les débris de sa fortune ; plus heureux que bien d’autres qui vendirent à d’énormes sacrifices.

(g) L’auteur n’a jamais été crédule, c’est une faiblesse que personne ne lui a reprochée ; néanmoins, au risque de le paraître sur ses vieux jours, il va rapporter l’anecdote suivante, telle que la racontait sa grand’mère maternelle et sa sœur madame Jarret de Verchères, toutes deux filles du Baron Lemoine de Longueuil, et sœurs de madame de Mézière qui périt, avec son enfant dans l’Auguste.

Le 17 novembre 1762, une vieille servante, qui avait élevé les demoiselles de Longueuil, parut le matin tout en pleurs.

— Qu’as-tu, ma mie, (c’était le nom d’amitié que lui donnait toute la famille,) qu’as-tu à pleurer ?

Elle fut longtemps sans répondre ; et finit par raconter qu’elle avait vu en songe pendant la nuit madame de Mézière sur le tillac de l’Auguste avec son enfant dans les bras ; et qu’une vague énorme les avait emportés.

On ne manqua pas d’attribuer ce rêve à l’inquiétude qu’elle éprouvait sans cesse, pour la jeune demoiselle qu’elle avait élevée. L’auteur malgré ses doutes quant à la date précise de la vision, n’a pu s’empêcher d’ajouter foi à une anecdote que non-seulement sa famille, mais aussi plusieurs personnes de Montréal attestaient comme véritable. Qui sait après tout ; encore un chapitre à faire sur les qui sait !

(h) Madame Élizabeth de Chapt de LaCorne, fille de M. de Saint-Luc, décédée à Québec le 31 mars 1817, et épouse de l’honorable Charles Tarieu de Lanaudière, oncle de l’auteur, racontait que la précaution qu’avait prise son père de déposer sous son aisselle, dans un petit sac de cuir, un morceau de tondre, dès le commencement du sinistre, lui avait sauvé la vie, ainsi qu’à ses compagnons d’infortune.

(i) Après le récit de M. de Saint-Luc, disait ma tante Bailly de Messein, nous passâmes le reste de la nuit à pleurer et à nous lamenter sur la perte de nos parents et amis, péris dans l’Auguste.

L’auteur avait d’abord écrit, de mémoire, le naufrage de l’Auguste d’après les récits que ses deux tantes lui en avaient fait dans sa jeunesse ; il se rappelait aussi, mais confusément, avoir lu, il y a plus de soixante ans, la relation de ce sinistre écrite par M. de Saint-Luc, publiée à Montréal en 1778, et en possession de sa fille Madame Charles de Lanaudière. Malgré ces souvenirs, celle version ne pouvait être que très-imparfaite, quand, après