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LES ANCIENS CANADIENS

des flammes qui éclairaient l’île d’Orléans comme en plein jour. Ces derniers semblaient avoir de grands égards pour leurs voisins, qui étaient, comme qui dirait borgnes ; ils les saluaient, s’en rapprochaient, se trémoussaient les bras et les jambes, comme des chrétiens qui font le carré d’un menuette (menuet).

Les yeux de mon défunt père lui en sortaient de la tête. Ce fut ben pire quand ils commencèrent à sauter, à danser, sans pourtant changer de place et à entonner, d’une voix enrouée comme des bœufs qu’on étrangle, la chanson suivante :

Allons, gai, compèr’lutin !
Allons, gai, mon cher voisin !
Allons, gai, compèr’qui fouille,
Compèr’crétin la grenouille !
Des chrétiens, des chrétiens,
J’en f’rons un bon festin

– Ah ! les misérables carnibales, (cannibales) dit mon défunt père, voyez si un honnête homme peut être un moment sûr de son bien ! Non contents de m’avoir volé ma plus belle chanson que je réservais toujours pour la dernière dans les noces et les festins, voyez comme ils me l’ont étriquée ! c’est à ne plus s’y reconnaître. Au lieu de bon vin, ce sont des chrétiens dont ils veulent se régaler, les indignes !

Et puis après, les sorciers continuèrent leur chanson infernale, en regardant mon défunt père et en le couchant en joue avec leurs grandes dents de rhinoféroce.

Ah ! viens donc, compèr’François,
Ah ! viens donc, tendre porquet !
Dépêch’-toi, compèr’l’andouille,
Compèr’boudin, la citrouille ;
Du Français, du Français,
J’en f’rons un bon saloi (saloir)[1].

  1. Le lecteur, tant soit peu sensible au charme de la poésie, n’appréciera guère la chanson du défunt père à José, parodiée par les sorciers de l’île d’Orléans : l’auteur leur en laisse toute la responsabilité.