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LES ANCIENS CANADIENS.

— Allons, point de façons, dit Jules ; nous sommes ici au bivouac, tous trois soldats, ou peu s’en faut. Veux-tu bien venir, entêté que tu es ?

— C’est de votre grâce, messieurs, reprit José, et pour vous obéir, mes officiers, ce que j’en fais.

Les deux jeunes gens prirent place sur le coffre, qui servait aussi de table ; José s’assit bien mollement sur une botte de foin qui lui restait ; et tous trois se mirent à manger et à boire de bon appétit.

Arché, naturellement sobre sur le boire et sur le manger, eut bien vite terminé sa collation. N’ayant rien de mieux à faire, il se mit à philosopher : de Locheill, dans ses jours de gaieté, aimait à avancer des paradoxes, pour le plaisir de la discussion.

— Sais-tu, mon frère, ce qui m’a le plus intéressé dans la légende de notre ami ?

— Non, dit Jules, en attaquant une autre cuisse de poulet, et je ne m’en soucie guère pour le quart d’heure : ventre affamé n’a pas d’oreilles.

— N’importe, reprit Arché : ce sont ces diables, lutins, farfadets, comme tu voudras les appeler, qui n’ont qu’un seul œil ; je voudrais que tout le monde s’en répandît parmi les hommes, il y aurait moins de dupes. Certes, il est consolant de voir que la vertu est en honneur même chez les sorciers ! As-tu remarqué de quels égards les cyclopes étaient l’objet de la part des autres lutins ? avec quel respect ils les saluaient avant de s’en approcher ?

— Soit, dit Jules ; mais qu’est-ce que cela prouve ?

— Cela prouve, repartit de Locheill, que ces cyclopes méritent les égards que l’on a pour eux :