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LA DÉBACLE.

vue de cet homme prêt à disparaître à chaque instant dans le gouffre béant de la cataracte.

Il se passait pourtant sur le rivage une scène aussi sublime, aussi grandiose ! c’était la religion rassurant le chrétien prêt à paraître au pied du redoutable tribunal de son juge suprême ! c’était la religion offrant ses consolations au chrétien prêt à franchir le terrible passage de la vie à la mort.

Le vieux curé de la paroisse, que son ministère avait appelé auprès d’un malade avant la catastrophe, était accouru sur les lieux du désastre. C’était un vieillard nonagénaire de la plus haute stature : le poids des années n’avait pu courber la taille de ce Nestor moderne qui avait baptisé et marié tous ses paroissiens, dont il avait enseveli trois générations. Sa longue chevelure blanche comme de la neige, agitée par la brise nocturne, lui donnait un air inspiré et prophétique. Il se tenait là, debout sur le rivage, les deux mains étendues vers le malheureux Dumais. Il l’aimait : il l’avait baptisé ; il lui avait fait faire cet acte touchant du culte catholique qui semble changer subitement la nature de l’enfant et le faire participer à la nature angélique. Il aimait aussi Dumais parce qu’il l’avait marié à une jeune orpheline qu’il avait élevée avec tendresse et que cette union rendait heureuse ; il l’aimait parce qu’il avait baptisé ses deux enfants qui faisaient la joie de sa vieillesse.

Il était là, sur le rivage, comme l’ange des miséricordes, l’exhortant à la mort et lui donnant non seulement toutes les consolations que son ministère sacré lui dictait, mais aussi lui adressant ces paroles touchantes qu’un cœur tendre et compatissant peut seul inspirer. Il le rassurait sur le sort de sa famille dont