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MÉMOIRES.

de trois ans, me sont encore aussi présentes qu’elles l’étaient alors.

Ce qui me fait croire à cette mémoire exceptionnelle, c’est que peu de mes contemporains, après un intervalle de quarante, de cinquante ans, se rappelaient les anecdotes de notre enfance que je leur racontais. Comment expliquer cette espèce de mémoire ? faut-il que deux organes soient chez moi frappés en même temps : la vue et l’ouïe. J’ai observé en effet que lorsque j’étudiais mes leçons tout haut, je les apprenais deux fois plus vite que lorsque j’étudiais bas. Je laisse aux physiologistes à décider cette question. Je ne souhaite pas à mon plus cruel ennemi cette mémoire exceptionnelle : pour dix paroles douces, flatteuses, on a souvenance de cent paroles dures, acerbes qui font encore rougir l’épiderme après un laps de trois quarts de siècle.

Vous souvient-il, disais-je dernièrement à mon vieux et spirituel ami le Dr Painchaud, que nous étions pendant notre enfance les deux meilleurs nageurs du séminaire de Québec, que les maîtres, refusant de nous laisser décider, lorsque nous nous baignions sur les grèves de la Canardière, lequel de nous deux serait le vainqueur, nous convînmes de remettre la lutte à la première occasion favorable ? Vous souvient-il, docteur, que, quelques jours avant l’ouverture de la vacance du mois d’août, profitant du congé ordinaire à cette époque, nous courûmes sur la grève du Palais inondée des eaux du fleuve jusqu’à quelques pieds seulement du parc du roi ?

— Je ne m’en souviens pas, dit mon ami.