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MÉMOIRES.

par la fenêtre ouverte, lorsqu’une servante monte avec une chaudière pleine d’eau glacée, sortant du puits de la cour ; je l’arrache des mains de cette fille et la verse sur la tête nue du chef des gamins. Je crois que quand il aurait eu les ailes de l’oiseau dont il portait le nom, il n’aurait pas sauté plus haut. Il n’y avait plus maintenant à reculer : aussi la première explication de Bezeau, lorsqu’il me rencontra le lendemain au matin, fut une taloche que je lui rendis avec usure ; et nous fûmes ensuite les meilleurs amis du monde.

En me séparant du dit Coq Bezeau qui dort depuis vingt-cinq ans avec ses pères, je dois m’occuper de son jeune frère Charles, que nous appelions le petit rouge, à cause de sa chevelure couleur de feu, espèce de petit Poucet, diablotin enragé, que sa mère vouait cent fois par jour à tous les génies malfaisants auxquels il ressemblait ; je dois m’en occuper, dis-je, ne serait-ce que pour consoler les parents dont les enfants font le désespoir pendant leur enfance.

La mère, à bout de patience, ou, peut-être, (car la longanimité des mères est proverbiale), manquant de force pour le châtier suivant ses mérites, l’envoya manger de la vache enragée à la Baie d’Hudson. À l’expiration de trois ans, un des associés de cette puissante compagnie de marchands, entre un matin chez la mère Bezeau, ou plutôt chez Chôlette, car elle avait convolé depuis longtemps en secondes noces, et lui dit :

— Madame, voici votre fils que je vous ramène.

— Je savais bien, dit la tendre mère, que le mauvais sujet se ferait bien vite chasser par les bour-