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MÉMOIRES.

monta tout à coup à la tête de mes jeunes compatriotes ; mais toujours est-il que l’année suivante dix-sept jeunes Canadiens, dont plusieurs appartenaient à des citoyens à l’aise, laissaient Québec pour chercher fortune sur l’océan. De ce nombre deux seulement ont revu une seule fois la terre de la patrie, et un troisième, après plusieurs voyages dans toutes les parties du monde, est revenu vivre et mourir tranquillement dans sa ville natale. Quant à Lafleur, deux ans après la conversation que je viens de citer, sa mère apprit qu’une vague l’avait englouti avec deux autres matelots.

Lorsque je reporte mes souvenirs sur les jours heureux de mon enfance, je me transporte souvent en esprit au château de Belle-Vue, dans la paroisse de Saint-Joachim, appartenant au séminaire de Québec. Ce château, assis sur un promontoire qui domine une immense vallée rafraîchie par les eaux pures et limpides du fleuve Saint-Laurent, et couverte, pendant l’été, des plus riches moissons, des prairies les plus verdoyantes, offre déjà à la vue un des plus beaux sites du Canada, à part les scènes grandioses qui l’environnent de toutes parts. À l’ouest est l’Isle-d’Orléans, qui semble surnager sur le prince des fleuves ; vis-à-vis sont les vertes campagnes de la côte du sud, d’où surgissent des habitations blanchies à la chaux, qui semblent former un village continu aussi loin que la vue peut s’étendre. Au nord-est se déroulent les Laurentides, immense serpent vert, dont la tête gigantesque, le cap Tourmente, couvre, le soir, de ses grandes ombres les belles prairies qui s’étendent depuis sa base jusqu’au promontoire sur lequel est situé le château.