Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/201

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qui, monté sur son char (sic) parcourait les champs de bataille après la victoire, écrasait sous les pieds de ses chevaux les soldats blessés, les morts et les mourants de son armée. Les incestes les plus odieux étaient les moindres de ses crimes : enfant précoce, le jeune Bonaparte, âgé de onze ans, avait fait violence à une femme respectable. On donnait même les noms de ses complices, de ses victimes ; et ces femmes innocentes étaient clouées au pilori de l’opinion publique. Rien n’y manquaient : les lieux, les circonstances, les détails étaient donnés avec un cynisme dégoûtant : on aurait pu croire que, comme ce chien impudent d’Absalom, de triste mémoire, Napoléon commettait ses crimes les plus honteux à la face de toute la France.

Il y avait pourtant aux yeux des gens sensés des choses assez invraisemblables dans ces accusations, mais il fallait faire semblant d’y croire sous peine de passer pour un french and bad subject ! (Français et sujet déloyal !) Il n’était pas même permis d’admirer les brillants exploits de cet homme prodigieux, qui n’a eu d’égal, s’il ne les a pas surpassés, qu’Alexandre et César. Ô le bon vieux temps !

Si la scène que je vais rapporter n’amuse guère le lecteur, elle me divertit jadis beaucoup, ainsi que ma mère.

Mon père était un haut torie, un royaliste quand même. Il n’aimait pas Napoléon, qu’il traitait d’usurpateur ; ce qui ne l’empêchait pas, tout en maugréant, un peu beaucoup, de rendre justice à son puissant génie militaire. Il m’appelait républicain, démocrate, quand j’osais différer d’opinion avec lui : car, né natu-