Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/209

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Je n’eus pas lâché le malencontreux refrain que je devins rouge comme un coq-d’Inde que j’étais ; mais ne sachant comment me tirer de ce mauvais pas, je pris le parti de continuer, en abrégeant la terrible chanson autant que possible. J’aurais rentré en terre, si je l’eusse pu.

Mon ami, l’honorable Butler, alors lieutenant dans le 49e, qui était au souper, me dit le lendemain : Quel diable vous a possédé de choisir une semblable chanson ? Savez-vous que le colonel s’est trouvé très mal à l’aise ?

— Et moi encore beaucoup plus que lui, répliquai-je : j’aurais voulu être à cent lieues, je suais sang et eau ; je vais de ce pas lui faire mes excuses.

— Non, non, fit Butler : il a fini par rire, en disant : De Gaspé is a very foolish boy (De Gaspé est un enfant sans cervelle).

La sentence prononcée contre moi me paru parfaitement juste, et je l’acceptai en toute humilité.

Cette scène, et une autre que je vais rapporter, peuvent être utiles aux jeunes gens sans expérience comme le sont ceux qui font leur entrée dans le monde, et les mettre sur leurs gardes : on n’a pas toujours affaire à de vrais gentilshommes portés à l’indulgence envers la jeunesse.

Nous dansions à un bal d’assemblée une contredanse, dont je ne goûtais ni l’air, ni les figures, et je dis à ma danseuse, ma cousine : au diable la danse !

Le major Loyld, brave officier, couvert de blessures, s’approcha de moi et me dit : monsieur, on ne maudit pas une danse qu’un gentilhomme a choisie.