Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/240

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habits que je porte maintenant et ma lancette à la main.

— À d’autres ! lui dis-je : tu n’as que quarante ans, tu as une charmante famille, tu as toujours aimé l’argent et tu en es gorgé, possédant une fortune d’au moins cent mille louis, et tu penses me faire accroire que, pour quelques années de vie de plus, tu renoncerais à tout cela ! allons donc ! tu n’es pas sérieux !

— À quoi me servent les richesses, reprit-il, lorsque j’ai un pied dans la tombe !

— Tu veux badiner, répliquai-je, tu es dans toute la vigueur de l’âge viril, tu as gravi ces montagnes d’un pas aussi léger que moi, tu as encore les belles couleurs que tu avais il y a vingt ans ; tout annonce chez toi une force musculaire peu commune ; et tu parles de mourir ! Allons donc ! tu veux badiner !

— La mort est un sujet trop sérieux, me dit-il, pour en parler légèrement : je suis affecté de la diabète, et cette cruelle maladie mettra bientôt fin à mon existence.

Il m’expliqua ensuite les diagnostics de cette maladie que j’ignorais alors ; mais je lui dis que la force de sa constitution en triompherait, que les médecins étaient plus sujets à s’alarmer que leurs malades mêmes ; et je continuai à le badiner sur la prétendue poltronnerie des chirurgiens qui coupent et rognent dans la chair humaine sans sourciller et jettent les hauts cris aux moindres petits bobos qu’ils ressentent.

Mon ami reprit sa gaîté ordinaire, qu’il conserva pendant tout le temps qu’il passa chez moi.

Environ dix-huit mois après cette visite, une personne de ma famille, arrivant de Québec, me dit :