Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/268

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de cette association ; j’allais donc de nouveau baisser les yeux, remettant au lendemain une explication que je croyais nécessaire, lorsque le géant me dit d’une voix à faire vibrer les verres sur la table : « De Gaspé, a glass of wine for old acquaintance sake, » c’est-à-dire, un verre de vin en mémoire de notre ancienne liaison.

— Avec plaisir, monsieur, lui dis-je : si ce n’est pas de ma part en mémoire de notre ancienne liaison, je n’en suis pas moins heureux de faire aujourd’hui votre connaissance.

— Comment ! dit-il, vous avez oublié vos anciens amis, les Bulger du séminaire de Québec !

— Mon ami Henri Bulger ! m’écriai-je.

— Non ; fit-il : mais votre ami Andrew Bulger.

Or des deux Bulger, Andrew, lorsqu’il laissa le séminaire vers l’âge de treize ans, était un enfant d’une beauté rare, mais très petit pour son âge ; tandis que Henry, son aîné, alors beaucoup plus grand, avait des traits formés qui étaient loin d’en faire un Adonis.

— Je comprends votre erreur, dit Bulger, mon frère Henri est maintenant un bel homme d’une taille ordinaire, tandis que moi, pygmée aux traits délicats pendant mon enfance, je suis devenu le géant que vous avez devant les yeux : nous avons changé de rôle, et j’ai beaucoup perdu à l’échange. Cette remarque fut accueillie par les éclats de rire de tous les assistants.

Richard Clery avait aussi embrassé la carrière militaire, et j’eus le plaisir de le revoir à Québec, à son retour de la Péninsule espagnole, après la lutte de vingt ans qui avait ébranlé l’Europe. Ce sont les deux seuls de mes amis anglais du séminaire qui soient