Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/287

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des avocats, des membres du parlement, qu’il imitait d’après nature ; il citait au besoin Blackstone, Cujas, Pothier, que sais-je. Il se faufilait partout ; connaissait tous les soldats de la garnison, entrait dans la cour des casernes les jours de châtiments infligés aux soldats, fréquentait les cirques et les théâtres, même sans payer son entrée.

McCarthy, après avoir tourmenté tous les paisibles citoyens de la ville de Québec, trouvant sans doute très-piquant de changer de scène, entre pensionnaire au séminaire de Québec ; et voici un de ses premiers exploits. Les tables au réfectoire du petit séminaire de Québec étaient divisées par plats composés de quatre des élèves : quatre de ces élèves servaient les autres pendant qu’ils prenaient leurs repas et ne mangeaient qu’après eux. C’était une place très-enviée que celle des servants, car une fois le réfectoire évacué, nous étions maîtres de nos actions. J’appartenais au plat de McCarthy, nous étions de service, libres de tout contrôle, et préparés à jouir de notre indépendance pendant l’absence des régents. La première preuve d’émancipation momentanée que donna Justin fut d’ouvrir la porte du poêle et d’y jeter un ragoût de mouton, seul et maigre plat destiné à notre souper. Nous poussâmes les hauts cris, nous étions affamés comme des loups, et il ne restait pour assouvir notre faim qu’une fricassée de pain sec. Les premiers fruits de la liberté nous semblaient très-amers, comme à beaucoup de mes concitoyens de la génération actuelle.

— Mes amis, dit McCarthy, modérez vos lamentations : j’ai autant faim que vous tous ; il ne s’agit,