Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/323

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— Laissons, messieurs, ajouta-t-il, le crime dans son foyer dégoûtant et ne lui laissons pas infecter les classes respectables.

Il lut ensuite les témoignages ; et se prévalant d’une bien légère contradiction, fit acquitter la prisonnière au grand contentement des spectateurs. Sur le même principe deux jeunes gens ont dû bénir le juge Sewell d’une indulgence qui leur a permis de reprendre un rang dans la société, dont ils ont eu la sagesse de ne jamais redescendre. Si ces jeunes gens eussent été jugés suivant la lettre sévère de la loi, au lieu d’être ensuite des citoyens respectables, il est de toute probabilité qu’ils auraient augmenté le nombre des criminels incorrigibles.

Un procès criminel qui eut lieu avant cette époque ne servit qu’à me confirmer dans mon opinion du système des jurés. Un meurtre de sang-froid, sans provocation aucune, avait été commis en plein jour en présence de cinquante témoins. Les preuves du meurtre étaient si claires, si positives, si accablantes, que tout le monde dut croire que les jurés feraient leur rapport cour tenante ; aussi, grande fut la surprise quand, à l’expiration d’une dizaine de minutes, ils demandèrent à se retirer dans une chambre pour délibérer. On enfermait à cette époque les jurés dans une chambre confortable, mais sans boire ni manger, sans feu et sans chandelle, jusqu’à ce qu’ils fussent d’accord sur leur verdict. Et ce ne fut qu’après trois jours qu’exténués par le jeûne, ils reparurent en cour pour déclarer que le prévenu n’était pas coupable du meurtre dont il était accusé.