Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quelle menace ? leur dis-je, il me semble pourtant qu’il ne faut pas être doué d’une profonde sagacité pour pénétrer le sens de ma devise. Rien ne peut mieux peindre la force contre la force que deux canons et deux boulets se menaçant réciproquement.

Mon barbouillage et ma devise ingénieuse, ajoutait M. LaForce en riant, me valurent un surcroît de rigueur de la part de mes bourreaux : on craignait sans doute que mon parc d’artillerie ne fît sauter la prison.

De toutes les victimes de la tyrannie du gouvernement de cette époque, M. le juge Bedard, avocat alors, fut celui qui endura sa captivité avec plus de patience. Ce disciple de Zénon, toujours occupé d’études profondes, pouvait se livrer à ses goûts favoris sans être exposé aux distractions dans la chambre solitaire qu’il habitait. Homme pratique, connaissant à fond la constitution anglaise, il ne communiquait avec les autorités que pour leur demander de quel crime on l’accusait ; et pour les prier de le mettre en jugement, s’il y avait matière à un indictement au criminel. On se donnait bien de garde d’instruire son procès : il était à peu près aussi coupable de trahison ou de pratique séditieuse que je le suis de vouloir m’emparer de la tiare de notre Saint-Père le pape. On lui signifia après une année de détention, je crois, qu’il était libre.

Je ne sortirai d’ici, répliqua M. Bedard, que lorsqu’un corps de jurés aura bien et dûment déclaré mon innocence.

On le laissa tranquille pendant une dizaine de jours, espérant lasser sa constance, mais à l’expiration de ce