Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/372

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été assez fou pour me réfugier du même côté d’où rage cette horrible tempête.

— Vous étiez assis au pied de l’arbre à Chatigny et encore au sud-ouest, fit M. Pierre Fournier.

Et les deux frères se regardèrent d’un air consterné.

— Vous m’en avez trop dit, Messieurs, fis-je, pour me cacher maintenant le reste ; je vous ai souvent interrogés, vous les plus anciens chasseurs de cette batture que vous fréquentez depuis plus de soixante ans, et vous avez toujours éludé mes questions sur ce Chatigny dont je vous ai si souvent parlé. Il y a un mystère que je ne puis pénétrer, mais je vois à votre air que vous me considérez comme un homme menacé de quelques grands malheurs, peut-être d’une mort prochaine. Vous me devez comme amis, comme chrétiens même, de me raconter ce que vous connaissez de l’histoire de Chatigny, afin d’être préparé à tout événement. Car on ne peut nier qu’il y ait une fatalité attachée à certains lieux. Ne craignez pas de m’effrayer : si c’est un grand malheur, je l’attends, si c’est la mort, je dois m’y préparer.

Les deux respectables vieillards se parlèrent longtemps à voix basse, et le vétéran des chasseurs de la côte du sud, M. Louis Fournier, qui à l’âge de quatre-vingts ans s’enfonçait seul dans les profondeurs de nos forêts canadiennes, où il restait des mois entiers, me fit le récit suivant.