Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/395

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— Appelez-vous légère difformité, lui répliquai-je, un menton si ridicule, que le porteur d’un semblable trait ne pourrait être admis à l’état de prêtrise, crainte de causer du scandale parmi les fidèles quand il officierait ?

— Tenez-vous à votre profession, dit Laterrière, car je vois que vous n’entendez rien à l’anatomie et à la chirurgie.

N’ayant rien à objecter aux remarques de mon esculape, je gardai le silence.

Quoique les grands mentons accusent généralement un caractère égoïste, le brave marin rendit un témoignage franc et honnête ; il avoua les menaces, la provocation, mais ajouta qu’il n’avait pas eu l’intention de frapper le prévenu.

Je vis que la sympathie des juges, des jurés et des spectateurs se portait sur le menton du plaignant ; j’en conclus que là était la question, comme dit Hamlet, et je commençai l’interrogatoire en conséquence.

— Dites-vous, témoin, sous le serment que vous venez de prêter, que c’est le coup de poing que vous avez reçu qui vous a allongé le menton dans l’état où il est aujourd’hui ?

— Certainement, fit le témoin.

— N’aviez-vous pas avant cet accident un menton très-prononcé ?

— J’ai toujours eu le menton long, mais pas à l’excès que je l’ai aujourd’hui.

— Vous êtes-vous regardé dans un miroir ?

— Oui ; et je suis tellement défiguré, que je crains