Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il était mort depuis trois jours et j’avais assisté à son enterrement la veille !

— Diable ! ça fait une différence notable ; et ça change complètement l’affaire ; mais êtes-vous bien certain que vous l’avez reconnu ?

— Comme si l’on ne reconnaît pas toujours son frère ! fit le père Romain, il avait le capuchon de son capot d’étoffe rabattu sur le front et de grandes bottes sauvages[1] qui lui montaient jusqu’aux hanches.

— Il devait avoir bien chaud ! répliquai-je, c’est une dure besogne que de faucher pendant les grandes chaleurs de l’été ; les moissonneurs ne gardent ordinairement sur eux que leurs culottes et leurs chemises.

— Les morts ont toujours froid, me dit le père Romain en faisant le gros bec.

Comme il m’était impossible de réfuter une majeure posée avec autant d’aplomb, je me contentai de secouer la tête d’un air convaincu. Le lecteur doit voir que j’avais bien raison de tenir beaucoup à ce que le père Romain fût de la partie.

Lorsque nous arrivâmes le lendemain, vers une heure de relevée, chez le père Chouinard, nous le trouvâmes devant sa porte, occupé à fendre du bois de chauffage. Après les compliments ordinaires, monsieur Charron se hâta d’entrer dans la maison en même temps que moi et dit :

— Bonjour, la mère : est-on toujours mauvaise ?

Les nerfs du cou de la mère Romain se tendirent

  1. Les Canadiens appellent bottes et souliers sauvages des chaussures sans semelles comme celles des Indiens, pour les distinguer de ce qu’ils appellent souliers français qu’ils achètent dans les boutiques.