Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/404

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— Il n’ira pas, dit la vieille : c’est bon pour les fainéants qui n’ont rien à faire qu’à courir les bois.

Je perdais du terrain, mais je ne voulais pas m’avouer vaincu.

— La mère Romain a raison, elle aime son mari et s’ennuie pendant son absence. N’y pensons plus, la mère, et parlons d’autre chose. Comment se fait-il qu’une jolie créature comme vous étiez pendant votre jeunesse, et vous n’êtes pas encore chiffonnée, vous êtes encore une femme revenante, — comment se fait-il que vous qui aviez le choix de tous les farauds de la paroisse, car j’ai entendu dire que tous les dimanches après vêpres la maison de votre défunt père était encombrée des prétendants qui venaient vous offrir de faire un tour de voiture..................................................

La vieille commença à se dérider.

Comment se fait-il que vous, une si belle créature, vous ayez choisi de préférence Romain Chouinard pour époux ? car vous conviendrez qu’il n’est pas beau, le père Romain ; il est noir comme un sauvage et vous êtes blanche comme un bassin.

— La vieille montra les deux seules dents canines qui lui restaient et dit : il fallait que je fusse ensorcelée.

Le père Romain se détournait pour rire, et M. Charron marmottait : il en viendra à ses fins.

— Mais ce qui me surprend le plus, continuai-je, c’est que vous fassiez si bon ménage avec un homme si peu accostable que votre mari ?

— Quand on met tout d’un côté et rien de l’autre, dit la vieille en ricanant de satisfaction, ce n’est pas bien difficile.