Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/413

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Nous passâmes la journée du lendemain à pêcher, à chasser et à tendre des collets. Le soir, après avoir fait honneur à une excellente soupe au lièvre, lard et perdrix, que le père Romain avait fait cuire pour notre souper, plat que je recommande spécialement aux chasseurs après beaucoup d’exercice, le soir donc nous reprîmes nos armes de la soirée précédente ; bien décidés à passer encore une agréable veillée. Un hibou perché sur un arbre voisin et le patriarche des nycticorax, autant qu’on pouvait en juger à sa voix lugubre, poussa son hou ! hou ! à plusieurs reprises. Nos habitudes sociales étaient, en apparence, peu goûtées du vénérable solitaire de nos forêts.

— Quand ces nations-là, dit le père Romain, font tant de vacarme, ça n’annonce rien de bon : à telles enseignes que la nuit que mon défunt père est mort, un de ces sorciers poussa trois cris en passant au-dessus de notre maison et dix minutes après, huit orphelins pleuraient près du corps du meilleur des pères.

Les cris lugubres du solitaire de nos forêts, les paroles touchantes du vieillard avaient jeté dans mon âme une teinte de mélancolie que je ne cherchais qu’à augmenter : il y a même un charme dans des sombres rêveries ; et je demandai au père Chouinard de nous conter une bonne histoire de revenants.

— Ce n’est pas de refus, fit le père Romain ; mais au moment où il allait commencer, le hibou poussa deux fois son hou ! hou ! lamentable ; le vieillard regarda derrière lui d’un air inquiet et me dit : Je suis bien fatigué ; j’ai pour l’habitude de faire un somme après