Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/442

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Ô vanité de l’homme de peu de foi ! je crus l’étonner en prononçant, avec l’accent de la douleur, les paroles suivantes :

« L’homme, né de la femme, vit peu de temps, et il est plein de misère ; il éclôt comme la fleur des champs, il est brisé comme elle, et il disparaît comme une ombre. »

Mon compagnon gardait le silence. Je continuais mes lamentations :

« Périsse le jour où je suis né et la nuit où il fut dit : un homme a été conçu ! Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma mère, ou n’ai-je pas péri en en sortant ! Pourquoi m’a-t-elle reçu sur ses genoux, et allaité de ses mamelles ! Maintenant je dormirais en silence, et je reposerais dans mon sommeil. »

Je m’attendais à des éloges ; je reçus un tendre reproche.

— Ce n’est pas beau, M. Philippe, de vous lamenter de la sorte ; c’est comme si vous faisiez un reproche au bon Dieu des croix qu’il vous envoie. Allez, le bon Dieu sait mieux ce qu’il nous faut que l’homme ; et s’il nous châtie, c’est que nous l’avons mérité. En attendant voici ma prière : elle sera bien courte, car il m’a paru que vous n’usiez pas de longues prières ; et comme j’ai déjà dit les miennes et mon chapelet par-dessus le marché, nous pourrons nous en contenter tous deux. Et le père Chouinard récita tout haut le Pater en français. Il me dit ensuite avec beaucoup d’humilité : Je crois, M. Philippe, que cette prière vaut bien la vôtre ; et si vous m’en croyez, couchons-nous tranquillement par-dessus.