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MÉMOIRES.

tripe dont je prépare la sauce moi-même, car il n’y a que moi, frère Alexis, qui sache lui donner le degré de perfection que requiert cet excellent plat, ainsi, frère Marc, qu’à la sauce d’une fricassée de poulets.

Ma mère, comme beaucoup de personnes, avait le faible de croire qu’elle faisait tout mieux que les autres, oubliant que c’était à notre mulâtresse Lisette, parfaite cuisinière, qu’elle devait la science culinaire dont elle se piquait.

Une humble satisfaction se manifesta dans les yeux des récollets à l’énumération des trois premiers plats, mais leur visage se rembrunit quand ma mère cita les œufs à la tripe. Ma mère se méprenant sur cette action leur dit : Je vous comprends, mes frères ; vous trouvez que c’est beaucoup trop de mets pour un jour d’abstinence, mais vous faites assez de pénitence dans votre couvent pour vous permettre un bon souper de temps à autres ; et rappelez-vous, ajouta-t-elle en riant, que je suis moi la mère supérieure de ma maison et que vous me devez obéissance sous mon toit.

L’arrivée de mon père fit changer la conversation, et ce fut des questions de sa part à n’en plus finir, jusqu’au moment où on se mit à table pour souper. Les moines avaient fait honneur à la soupe, au pâté et au plat de truite, lorsque le fameux plat d’œufs à la tripe fit son apparition. Les deux récollets se regardèrent d’un air inquiet.

Ma mère, toute jubilante par anticipation des éloges qu’elle attendait de son chef-d’œuvre culinaire, dit au servant de changer les assiettes.