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MÉMOIRES.

À cette nouvelle, un sentiment de profonde tristesse s’empara de toutes les âmes sensibles du Bas-Canada ; et à l’exception de quelques démocrates quand même, la douleur fut générale.

Quelques mois après cette catastrophe, il y avait nombreuse compagnie chez mon père, à Saint-Jean Port-Joli ; parmi les convives admis à sa table étaient trois prêtres : messieurs Péras, notre curé, Verrault, curé de Saint-Roch, et Panet, curé de l’Islet. Ce dernier était oncle de l’Honorable Louis Panet, aujourd’hui, membre du Conseil Législatif, et frère du grand patriote qui a été pendant plusieurs années orateur de notre Parlement Provincial. Ces messieurs parlèrent beaucoup politique au dessert, ce qui était de l’hébreu pour moi. Lorsqu’ils déplorèrent la mort cruelle et prématurée du Prince vertueux que les Français avaient guillotiné, je commençai à comprendre.

— Et dire, fit monsieur Panet, qu’il y avait quarante mille prêtres en France !

— Qu’auraient-ils pu faire ? dit monsieur Péras.

— Ce qu’ils auraient pu faire ! répliqua monsieur Panet avec vivacité et en ouvrant la partie de sa soutane à l’endroit du cœur, couvrir le Roi de leur corps et mourir à ses pieds ! C’était là leur place au lieu d’émigrer comme ils ont fait.

Mon père, naturellement assez vindicatif, battait en froid depuis quelques années avec le curé de l’Islet, par suite d’un petit démêlé qu’ils avaient eu ensemble ; mais il se réconcilia alors cordialement avec lui. Il répétait trente ans après ces sublimes paroles.