Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
VOYAGE DE LA BELGICA.

leurs bords, la jeune glace prend des teintes d’aigue-marine. Vers le soir, insensiblement, les ombres changent, tournent au rose tendre, au mauve pâle, et, derrière chaque iceberg, il semble qu’une fée, en passant, ait accroché son voile de gaze. Lentement, l’horizon se colore en rose, puis en jaune-orange, et, lorsque le soleil a disparu, longtemps encore, une lueur crépusculaire persiste, s’estompant délicieusement sur le fond bleu sombre du ciel où scintillent, innombrables, les étoiles.

Plus souvent, hélas ! la brume noie tout ce qui nous entoure dans de blancs floconnements ; les nuages bas se confondent avec les dos arrondis des hummocks ; les ombres ont disparu avec les contours des choses, et c’est à tâtons qu’il faut marcher dans ces blancheurs opaques.

… Avril se passe ; la température moyenne du mois a été assez basse : le 3 (qui correspond au 3 octobre de l’hémisphère boréal), nous notions, à six heures du soir, un minimum de –26°,5.

La durée des jours s’abrège de plus en plus. Le froid augmente sensiblement. Pourtant, la banquise n’est pas déserte encore.

De temps à autre, nous voyons planer quelqu’une de nos connaissances Manchot impérial.
manchot impérial
ailées du détroit : un pétrel, un sterne, un goéland ; au cours de nos promenades, nous apercevons encore parfois un phoque assoupi sur le bord d’une fente, ou un groupe de quelques manchots. Parmi ceux-ci, le plus remarquable est le manchot impérial, oiseau géant dont la taille atteint parfois 1 m. 20 et qui pèse jusqu’à 40 kilogrammes. Il a le dos et le dessus des ailerons d’un noir bleuâtre avec le ventre et la poitrine blancs ; la tête est noire, avec, de chaque côté, une tache jaune orangé ; le bec allongé est noir, strié de rouge et de bleu à la base. Son énorme embonpoint témoigne d’une préoccupation unique : il semble évident qu’un bon repas et une paisible digestion sont pour lui la grande affaire de la vie. Or, sous ce rapport, la banquise est pour lui un Eden. Lorsqu’il a faim, il s’avance en se dandinant de droite et de gauche jusqu’à la crevasse la plus proche, s’y plonge le bec

60