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Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/90

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VOYAGE DE LA BELGICA.

Le vent souffle presque constamment de la partie Est, aussi la dérive nous entraîne-t-elle toujours à l’Ouest.

Soulevée par la houle, parfois très forte, la glace nous heurte, nous bouscule. Tout le jour, toute la nuit, nous éprouvons des chocs terribles. Le gouvernail souffre énormément du heurt des glaces. À maintes reprises, nous devons descendre sur la banquise pour arrondir les angles trop saillants qui éraillent le soufflage et menacent de déchirer la carène. Nous sommes obligés d’employer la tonite pour faire sauter quelques grands pans dont la lourde masse rend le voisinage dangereux…


Le 14 mars seulement, cette situation angoissante prend fin.

La veille, nous avions observé de grands changements dans la position respective des icebergs qui nous environnaient. Deux des plus importants s’étaient dirigés vers nous d’une façon inquiétante, en même temps qu’ils se rapprochaient l’un de l’autre. La situation était extrêmement critique. Mais nous étions sous pression, prêts à saisir la première occasion favorable…

Dans la glace en mouvement des jours se sont ouverts ; nous nous y faufilons et prenons la fuite.

À midi, nous gagnons le large.

Et maintenant, avec un sentiment de joie, de délivrance, de soulagement, dont l’intensité ne peut s’exprimer par des mots, nous naviguons en eau libre.

Nous sortons du pack à 335 milles au Nord 85° Ouest de la position observée le 2 mars de l’année précédente. Depuis le 31 janvier, nous avons couvert plus de 260 milles vers l’Ouest. Quant au parcours total de la dérive, il est de 1 700 milles environ…


Nous mettons aussitôt le cap au Nord.

Favorisés par une brise fraîche du S.-E. nous faisons bonne route toutes voiles dehors. Devant nous pas un iceberg, pas un seul fragment de glace ; au Sud, la blanche lisière du pack s’éloigne de plus en plus et bientôt l’iceblink seul, qui persiste jusqu’au soir, nous rappelle la perfide banquise qui, si longtemps, nous tint prisonniers…

Très galamment de nombreux oiseaux antarctiques nous font escorte…

Après avoir soufflé régulièrement du S.-E. pendant plusieurs jours, la brise hale l’O.-S.-O. d’abord, puis, lentement, elle anordit. La température se relève, et le 24 à midi, nous notons +5°7. Il y a bien longtemps que nous n’avons joui de pareille « chaleur » !…

Petit à petit, les oiseaux antarctiques abandonnent notre sillage.