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Alors, celui-ci, Ésaü, l’ouvrier, se jure à lui-même qu’une répartition inégale des biens de ce monde a été faite, ce qui est parfaitement vrai d’ailleurs ; mais les moyens d’en reconnaître et d’en apprécier les raisons supérieures ne sont pas à sa portée ; il passe outre et conclut non seulement à l’opportunité, non seulement à la légitimité, mais à la nécessité, à la possibilité d’une répartition nouvelle dans laquelle lui, Ésaü, lui, l’ouvrier, il aura tout et Jacob, justement châtié de sa longue usurpation, n’aura rien.

Son intelligence fait à ce moment un pas de plus sur cette route fallacieuse. Il se procure des livres. Il lit à tort et à travers, avec la fièvre, avec la volonté ferme de trouver ce qu’il cherche, de mettre la main sur la solution du problème, non telle qu’elle peut être, mais telle qu’il la veut. Il devient un des conseillers de sa caste, il ajoute les déboires de l’écrivain médiocre à ceux du mercenaire souffrant ; passé folliculaire, il passe vipère et devient un des oracles du sanctuaire. Mais toute la mécanique intellectuelle de cet homme est faussée.

CHAPITRE XXXI.

Comme aussi chez ceux qui le lisent, l’écoutent et le prennent pour guide infaillible ainsi qu’il arrive dans ces sectes qui se fondant pour tous piliers sur le désir et sur la foi, ont besoin de prophètes et s’en font. Alors viennent les fanatiques et les illuminés. Il n’en manque pas. Ils adorent Marat, dans un temps, Delescluze dans un autre, mais ils adorent toujours tel ou tel. Ils constituent l’élite de l’armée démocratique parce qu’ils ne demandent pas mieux que de se battre et savent par-