— À peine arrivé de Florence, criait Giovanni de toutes ses forces, mais dans la fureur du vent son cri n’était qu’un murmure et on ne distinguait que des mots hachés : « une lettre… importante… ordonné de remettre… immédiatement… »
Léonard comprit que ce devait être la lettre de César Borgia. Giovanni la lui tendit et l’artiste reconnut l’écriture de messer Agapito, le secrétaire du duc.
— Descends, cria-t-il, en voyant le visage de Giovanni bleui par le froid. Je viens toute de suite…
Beltraffio, se cramponnant aux branches, glissant, butant, courbé et rétréci, commença à descendre, si petit, si faible qu’il semblait que la tempête, en le saisissant, l’enlèverait dans la prairie.
Léonard le regardait, et l’aspect piteux de l’élève rappela au maître sa propre faiblesse, la malédiction de l’impuissance pesant sur toute sa vie – l’infinie suite d’insuccès, la stupide perte du Colosse, de la Cène, la chute du mécanicien Astro, le malheur de tous ceux qui l’aimaient, la haine de Cesare, la maladie de Giovanni, la peur superstitieuse dans les regards de la petite Maïa, et l’éternelle et terrible solitude.
« Des ailes ! pensa-t-il. Est-ce que cela aussi doit périr comme le reste ? »
Les paroles prononcées par Astro dans son délire revinrent à sa mémoire – la réponse du Christ à celui qui le tentait par la terreur de l’abîme et la joie du vol : « Ne tente pas ton Seigneur Dieu ! »