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Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/108

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et à implorer la madone qui n’avait pas agréé mes offrandes, ni mes sacrifices.

— Comment voulez-vous, disais-je le lendemain à Antonia, qu’on vous cherche un mari si vous montrez des inclinations aussi mauvaises ?

— Puisque vous pensez que je ne mérite pas d’être mariée, répondit-elle, je me résignerai à demeurer fille.

— Assurément, vous n’épouserez pas un misérable ânier, ou bien nous nous séparerons.

— Je ne veux rien faire contre votre gré ; j’aime mieux renoncer à Meneghe que de vous déplaire.

Le petit ânier avait des prétentions. Ces souvenirs m’agitent encore trop dans le moment pour que je puisse vous raconter la scène burlesque qu’il vint me jouer en demandant intrépidement la main de ma fille adoptive. Je le menaçai de coups de bâton et il s’esquiva.

En face de ma maison de campagne était une chaumière habitée par une jeune orpheline d’une rare beauté ; elle s’appelait Angelica, ce dont on faisait Cangé, car il faut toujours raccourcir ou modifier les noms dans ce pays-ci. C’était une vraie sorrentine, brune, élancée, d’une physionomie sérieuse, avec des bras d’ivoire et des yeux démesurés. Elle ornait sa misère avec un collier de graines de sorbier, un chapelet de noisettes et une coiffure de feuilles de myrte. Au rebours du précepte, elle ne faisait rien, pendant la semaine, que rêver à sa fenêtre et, le dimanche, elle sortait de son apathie pour danser des tarentelles à se briser les jambes. Meneghe vint à passer par là et, soit inconstance, soit envie de braver les rigueurs d’Antonia, il se mit en frais pour la