Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/17

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tête baissée dans le piège et seront dupés comme des nigauds. Celui qui tient un cornet de dés calculera comme un Barême toutes les chances, et ne risquera pas un grain sans savoir où les probabilités veulent qu’il mette son enjeu. Après s’être défendu habilement contre le hasard, il s’en ira au bureau de la loterie sur la foi d’un rêve ou du livre de la Smorfia.

Depuis le pied des Alpes jusqu’à Reggio de Calabre, l’exagération est un état normal. Le fou, le maniaque, l’amoureux, sont trois fois plus fous, plus maniaques et plus amoureux que nous. Les ridicules, moins nombreux que les nôtres, ont des proportions infiniment plus visibles. La vanité française elle-même, qui se fait citer dans le monde entier, n’est qu’un travers imperceptible auprès de celle de l’Italien lorsqu’il se mêle d’être vain.

Il y a quelques années, nous avons tous vu à Paris une espèce de fous qui, avec un beau nom et une grande fortune, portait des habits délabrés, mettait de la graisse dans sa barbe et se donnait en spectacle avec un cynisme plein d’affectation. Naples possède dans ce moment un fou bien plus naïf. C’est aussi un homme de bonne famille, loquace et importun comme le nôtre, mais inoffensif, consciencieux dans sa folie et cent fois plus original. Il porte un casque de cuir, un carrick de forme étrange, des bottes de voyage par-dessus le pantalon, et si larges que deux paires de jambes ne les rempliraient pas. Un sabre est attaché à son cou par une bretelle si courte que la poignée se trouve au-dessous du menton. Un arçon de cavalerie, suspendu par derrière au moyen d’une ficelle, contient un gros pistolet de combat et le