Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/173

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défends à Zullino de remettre les pieds chez moi et, demain, si tu ne fais pas bon visage au seigneur Benedetto, je te corrigerai avec une baguette. Vive Dieu ! cela n’a pas encore ses dents de sagesse et cela veut raisonner !

— Zulino, reprit la toppatelle, tu as entendu : je suis ta femme. Je te regarderais comme un indigne si tu renonçais à ma main. Retire-toi pour ne pas avoir de querelle avec mon père et compte sur ma parole. Notre mariage n’et que différé.

Après le départ de l’amoureux, il y eut du vacarme dans la maison du tailleur. Le père cria sans savoir ce qu’il disait. La mère cria et pleura pour apaiser son mari. Agata prit sa quenouille et fila paisiblement, comme si tout ce bruit ne l’eût regardée en rien. Quand don Benedetto arriva, dans sa riche parure, un bouquet à la main, la jeune-fille lui tourna le dos et monta majestueusement dans sa chambre où elle s’enferma. Il fallut pourtant apprendre au prétendu que le toppatelle avait disposé de son cœur.

— Je comprends, dit le marchand de soieries, elle est demi-folle pour ce Zullino ; mais je lui ferai un cadeau et la raison lui reviendra.

Il n’y a pas de gens plus passionnés que nous-autres, Siciliens, et nous ne parlons jamais des passions. Elles nous entraînent si loin de notre état de nature que nous les considérons comme une maladie à laquelle on donne le nom de demi-folie. Avec ce mot-là, on ne s’étonne plus de rien. Le jaloux qui tue sa femme, l’amant qui enlève sa maîtresse, sont des demi-fous. On les craint et on s’en écarte lorsqu’ils sont dangereux ; mais on les