Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/182

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avec fierté, à vos amis qu’un homme est mort pour vous. Ne parlons plus de cela et dansons ensemble pour la dernière fois.

Zullino saisit Agata par la taille et l’entraîna dans le tourbillon où ils dansèrent tous deux avec tant de grâce et de gentillesse qu’on ne les eût jamais pris pour des amants au désespoir. Quand la tarentelle fut achevée, notre amoureux pressa la main de sa maîtresse infidèle, puis il enfonça son bonnet sur ses yeux et sortit à grands pas. Il était à peine dans la rue qu’il s’entendit appeler. Une jeune-fille, entièrement voilée de sa mante noire, vint lui prendre le bras et une voix émue qu’il connaissait bien lui dit tout bas :

— Je n’y tiens plus ; emmenez-moi où vous voudrez.

La seconde évasion de la toppella ne troubla les fêtes de la vendange que pour le petit tailleur et son futur gendre. Les autres continuèrent à s’amuser.

— Voilà ce que c’est, disait-on, que d’avoir voulu marier par force une jolie fille avec un être qu’elle n’aime pas.

Don Benedetto fit battre le pays par ses amis et ses serviteurs. Des bûcherons assurèrent avoir vu, dans les bois, plusieurs couples d’amoureux qui allaient dans toutes sortes de directions. En poursuivant Agata, on interrompit d’autres entretiens et on remit dans leur chemin quelques toppatelles égarées, mais on ne trouva pas celle qu’on cherchait. Nos jeunes gens s’étaient enfoncés dans le plus épais du Bosco et vivaient paisiblement chez des charbonniers. Ils y étaient depuis trois jours, oubliant l’univers entier, lorsque le hasard fit passer par là le vertueux curé