se donner la main. En allant à Messine, nous étions avec quatre habitants de Catane qui n’ouvrirent pas la bouche parce que le courrier était napolitain ; ils se bornèrent à causer par les regards, les signes et les jeux de physionomie ; c’est le mode de converser qu’ils poussent à un degré de perfection qu’on ne peut bien apprécier si on ne les prie de traduire avec la parole tout ce qu’ils ont échangé ainsi. Jamais il n’y eut de gens mieux organisés pour la conspiration. L’œil le plus sagace ne saurait pénétrer jusqu’à la pensée qu’ils veulent tenir secrète. Malgré cette dissimulation profonde, ils sont ouverts, francs et gracieux pour les personnes qu’ils aiment et, surtout, pour les étrangers dont ils n’ont aucune raison de se défier. Ils disent leurs espérances, leurs projets, leurs désirs à un inconnu qui les croirait volontiers imprudents ou légers, parce qu’il ne sait pas avec quel admirable coup d’œil un Sicilien devine les sentiments de celui à qui il parle.
Lorsqu’un préjugé s’est établi dans une tête sicilienne, il n’en veut plus sortir. En 1837, le choléra fit d’horribles ravages à Palerme. Toute la population fut atteinte et le tiers en mourut. On s’imagina que l’eau et les aliments étaient empoisonnés. D’où pouvait venir le poison, si ce n’est de Naples ? J’ai vu des hommes éclairés qui croient encore à cette fable.
Tout le monde a ses défauts ; celui du Sicilien est la jalousie. Cette sombre passion plane sur l’île entière comme un oiseau sinistre. Les villes se portent envie entre elles ; Messine est jalouse de Palerme, Catane est jalouse de Messine, Syracuse est jalouse de Noto. Palerme, plus belle, plus riche et plus lumineuse