Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/209

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son état, il nous faudrait la sœur de don Magone pour chanter, de sa voix de clochette, l’Abeille du divin Meli.

Meli, le Théocrite moderne de la Sicile, écrivait dans le siècle dernier. Il n’y a pas un homme du peuple, à Palerme, qui ne sache par cœur quelques unes de ses poésies.

— Don Magone, dit un des convives, où est donc ta sœur ?

— Elle est à la danse, répondit le seigneur Magone, mais je vais l’appeler.

Le Carthaginois se mit à une fenêtre qui donnait sur la rue et cria de toutes ses forces :

— Barbara ! Viens ici chanter l’Abeille de Meli.

Au bout de cinq minutes arriva sur la terrasse une grande brunette essoufflée par la danse, avec des cheveux d’ébène et des yeux pleins de Bosphore. Le violon et la flûte jouèrent aussitôt la ritournelle et Barbara se mit à chanter, d’une voix forte et argentine. La jeune fille promenait, sur l’auditoire, des regards doux et assurés, tandis que les hommes, au contraire, tenaient les yeux baissés. Cependant, lorsque la romance fut achevée, ils applaudirent avec frénésie. Nous admirions l’instinct musical de ces gens sans éducation et nous étions stupéfaits de voir combien le peuple du Midi est plus civilisé que nous, malgré ce qu’en disent les commis-voyageurs qui mesurent le degré de civilisation par le poli industriel d’une lame de rasoir.

La jeune chanteuse restait debout, attendant les ordres de son frère.

— Voilà qui est fini, lui dit don Magone. Va-t-en à la danse et laisse-nous boire paisiblement.