Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/221

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vous verrez qu’ils la prendront au sérieux.

— J’avoue que la pointe, le jeu de mots et le calembour ne sont pas de leur goût. Sans perdre de temps à distinguer l’esprit de l’intelligence, je vous demanderai plutôt ce que vous pensez de l’aptitude du peuple pour les arts.

— Elle est inutile. Il n’y a pas, ici, un seul peintre.

— Vous êtes bien sévère. On ne voit pas d’écoles, il est vrai ; quelques talents isolés vont à l’aveugle sans guide, sans public et sans encouragement ; mais, en musique, on a vu Bellini.

— Le premier chanteur de l’Opéra, cet hiver, était un Russe.

— Le dernier des pêcheurs et des facchini a une belle voix, sait par cœur des morceaux de théâtre et chante avec un goût extraordinaire.

— Oui, pour un pêcheur et un facchino.

— Leurs instincts sont très civilisés.

— Comment cela ? Ce sont des barbares. Ils s’éclairent avec de l’huile d’olive et ne savent ni fabriquer un chapeau de soie, ni faire un vol-au-vent à la Béchamel.

— Aimez-vous la musique ?

— Passionnément !

— Sauriez-vous chanter l’air de la Niobé de Pacchini ?

— Non, j’ai malheureusement la voix fausse.

— Il en est de la voix comme du jugement.

Ainsi, un homme obligé, par état, de connaître les gens qui l’entourent, nie que les Siciliens aient de la religion et il les voit, en foule, aux églises ou au pied des madones ; de la fierté et il les voit traiter les Napolitains avec un mépris injuste ; de l’énergie et