Mon compagnon de voyage, M. V…, garçon jeune et actif, doué de cette organisation privilégiée à laquelle on donne le nom de viveur, savait bien apprécier le charme de la vie vénitienne, où tout est surprises et incidents. Au bout d’une semaine, il me laissa courir seul après les souvenirs historiques et les peintures, descendre dans ces prisons souterraines brisées par la crosse du fusil français, visiter le tombeau de Canova et m’enfoncer dans ces églises si remplies de détours et de cachettes que le romanesque s’y introduit à côté de la dévotion. M. V… devint, tout à coup, mystérieux comme un membre de l’ancien sénat ; il m’abandonnait la jouissance de notre gondole, cet équivalent, peu dispendieux, du carrosse de louage ; il me prenait pour secrétaire, afin d’écrire en Italien de petits billets d’un laconisme tout à fait boréal ; il dormait le jour et marchait la nuit, au risque de passer sur le pont sans parapet où l’avocat Sarpi fut assassiné. Il ne m’accordait plus l’honneur de sa compagnie que le soir, à l’heure du