Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/54

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mer, entre le port et la rade. Vous trouverez là les Rinaldi, déclamateurs de vers qui ont emprunté leur nom à l’histoire de Renaud chez Armide, morceau favori des Napolitains. Plusieurs rinaldi viennent s’établir sur le môle et, parmi eux, il y a du choix. Les uns, qui ne récitent pas bien, parlent devant les enfants ou même dans un désert complet ; d’autres, plus versés dans leur art, sont en grande faveur. Toutes sortes de gens s’assemblent en cercle pour les entendre : des femmes, des douaniers, des soldats, des matelots et des pêcheurs, les uns assis sur des pierres, les autres couchés sur le flanc, le coude appuyé à terre dans des poses pittoresques ou élégantes, les regards fixés sur l’orateur avec l’air du recueillement et de l’attention. C’est un tableau en permanence et tout composé qui attend un Léopold Robert. Toujours il s’agit de héros malheureux ou vainqueurs, d’enchantements et d’amours, de grands traits d’audace, de générosité ou de courage. La vertu peut mourir : sa récompense l’attend dans le ciel ; mais le crime et le vice ne doivent point finir heureusement. Jamais un mauvais sentiment ni une action infâme ne peuvent se produire s’ils ne sont accompagnés de malédictions et d’infortunes. Le public, tout humain et par conséquent tout imparfait qu’il est, apporte à la séance une imagination pure et un cœur honnête. Si un parleur s’avisait de flatter les mauvais penchants de l’auditoire, il s’exposerait à être lapidé car le peuple napolitain a un instinct naturel des règles de l’art. Son goût dominant est le merveilleux, l’héroïque, les poèmes soutenus par un débit harmonieux. Le manque d’éducation le fait ressembler à un enfant, mais à un enfant plein d’intelligence.