Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/9

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genre. Après avoir bien cherché, nous trouvâmes des appartements à notre convenance sur le quai de Sainte-Lucie ; nous nous débarrassâmes des facchini avec beaucoup de peine, en leur payant le double de ce qui leur était dû. Quant aux gamins, les paroles ne produisaient aucun effet, et l’argent ne faisait que les amorcer, il fallut en venir aux menaces pour repousser leurs offres de services. La bande se dissipa comme une ombre après le premier coup de pied qui fut administré au plus importun. L’intelligent et spirituel Stendhal disait que, pour faire le tour de l’Italie, on devait tenir toujours dans le creux de sa main une pièce de monnaie blanche : il avait raison ; mais à Naples, outre la pièce de monnaie, il faut encore tenir de l’autre main une canne qui sert à mettre fin aux conférences trop longues et aux marchés frauduleux. Cet argument de bois est d’une puissance irrésistible, parce qu’il est l’expression palpable de la furia francese, qui est fort redoutée dans les pays du Sud.

S’il est un endroit sur la terre où l’on puisse être heureux, c’est le quai de Sainte-Lucie. De sa fenêtre on voit d’un coup d’œil toute la baie : en face de soi le Vésuve, la côte de Castellamare et de Sorrente ; à gauche la courbe que décrit le rivage depuis Naples jusqu’à Portici ; à droite, le détroit de Campanella, par où les navires vont en Sicile, et Capri, toujours enveloppée dans son voile de gaze bleue. La mer qui bat sans cesse les murailles du château de l’Œuf, vous berce le soir du bruit de ses vagues. Les frégates en station saluent à coups de canon les vaisseaux qui entrent. Des bateaux à vapeur vont et viennent plusieurs fois par jour et vous suivez du regard jusqu’à une grande