Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, Curet, 1810.djvu/416

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lui dit en secret et avec beaucoup de douceur : Que veut dire ceci, Geoffroy ? d’où vient que je vous trouve contre votre ordinaire si rêveur et si triste ? Alors il lui répondit avec un profond soupir : ah ! mon frère, jamais de ma vie je n’aurai de joie. Sur quoi son ami touché de compassion, et d’un vrai zèle de charité fraternelle, s’en alla promptement en donner avis à leur Père commun saint Bernard : aussitôt le Saint entra dans une Église prochaine, afin de prier Dieu pour ce pauvre affligé, qui étant accablé de tristesse, se jeta sur une pierre et s’y endormit ; mais après un peu de temps, le saint Abbé sortit de l’Église, et son Religieux s’éveilla, avec un visage si riant et un air si tranquille, que son ami étonné d’un changement si grand et si prompt, ne put s’empêcher de lui reprocher doucement ce qu’il lui avoit répondu un peu auparavant ; et sur cela Geoffroy lui répliqua : Si je vous ai dit que jamais de ma vie je n’aurois de joie, je vous assure maintenant que jamais de ma vie je n’aurai de tristesse.

Voilà quel fut le sujet de cette tentation ; mais, Philothée, faisons sur cela quelques réflexions bien nécessaires. 1.° Dieu fait goûter ordinairement les délices du Ciel à ceux qui entrent dans son service, pour les dégager des plaisirs du siècle, et pour soutenir leur cœur dans les voies de son amour, comme une mère se sert du miel