Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/135

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Et bien, cedons Rigilde, au ciel à qui tout cede :
Pour un mal incurable il n’est aucun remede :
Et lors qu’un si grand mal est au suprême point,
Le mieux qu’on puisse faire est de n’en chercher point.
Non, puis que le despit ne guerit pas mon ame,
Toute l’eau de la mer n’esteindroit pas sa flâme :
Elle est flâme elle mesme, et mon cœur consumé
Ne vit plus, et n’est plus que dans l’objet aymé.
Ne cherchons ni douceur, ni pitié, ni constance ;
Ni soin, ni repentir ; mais cherchons la vangeance :
C’est elle seulement qui nous peut soulager :
Et pour mourir en paix vivons pour nous vanger.
L’orgueilleuse beauté que la douleur suffoque,
Voudroit cacher ses pleurs au roy qui les provoque :
Mais comme elle travaille à chercher ce milieu,
Elle voit Alaric qui vient luy dire adieu.
Ce prince à dans les yeux la tristesse dépeinte ;
De la confusion ; de l’amour ; de la crainte ;
Du respect ; du chagrin ; des regards languissans ;
Sombres ; foibles ; soumis ; mais pourtant fort puissans.
La belle à dans les yeux, du feu ; de la colere ;
Du despit ; de l’orgueil ; de la douleur amere ;
De la honte qui vient du sentiment qu’elle a ;
Et pourtant de l’amour plus que de tout cela.
Par un triste regard dont la douceur le touche,
Elle l’apelle ingrat sans qu’elle ouvre la bouche :
Par un triste regard cét amant à son tour,
La nomme sans parler injuste à son amour.