Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/225

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Voyoit quel est l’excès de mon affliction ;
Et ce que fait en moy l’ardente passion ;
Elle partageroit les peines que j’endure ;
Elle ne deviendroit, ny volage, ny dure ;
Elle aymeroit tousjours, comme j’ayme tousjours ;
Et ne feroit jamais de nouvelles amours.
Mais elle n’en voit rien, mais elle est fille, et fiere ;
Mais elle a veu mon cœur rejetter sa priere ;
Mais elle a veu ce cœur resister à ses yeux ;
Et d’amoureux qu’il fut, n’estre qu’ambitieux.
Craignons tout, craignons tout, nous avons tout à craindre :
Plaignons-nous, plaignons-nous, car nous sommes à plaindre :
Ou plutost condamnons ce que l’on doit blasmer,
Car pourroit-on partir si l’on sçavoit aymer ?
Mais si je n’ayme point, d’où vient ce mal extrême ?
Non, sans doute j’aymois, et je sens bien que j’ayme :
Et que j’ayme à tel poinct, que nul cœur enflâmé,
N’a jamais tant souffert, ny jamais tant aymé.
O Dieu, vous le sçavez, que tout roy n’est qu’un homme !
Et que le grand objet, et du Tibre, et de Rome,
Quoy que haut et pompeux, ne sçauroit effacer,
Celuy que dans mon cœur l’amour a pû tracer.
Je verray, je verray, cette adorable idole,
Au pied du Vatican, et sur le Capitole :
Et je seray captif de ses charmans regards,
Quand j’auray triomphé de l’orgueil des Cezars.
Oüy, ces roys de mon cœur feront encor la guerre,
Lors que j’auray vaincu la reyne de la terre :