Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/258

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Il la louë, il la plaint, et d’un air tout charmant,
Il oblige à la fois, et l’amante, et l’amant.
Mais de l’obscure nuit le voile espais et sombre,
Venant couvrir la flote, et le camp de son ombre,
Le roy tout glorieux de son heureux destin,
Regale tous ces chefs d’un superbe festin :
Et chacun gouste apres, comblé d’ayse et de joye,
Le paisible repos que le sommeil envoye.
Cependant Lucifer se tourmente la-bas,
Et durant que tout dort, le cruel ne dort pas.
Cét esprit orgueilleux, dont la premiere faute,
Fut une vanité superbe comme haute,
Ne peut encor souffrir de son premier vainqueur,
Et pres de son despit l’enfer est sans rigueur.
Il voit que dans le ciel le soleil qui s’esleve,
Est encor loin du terme où sa course s’acheve :
Et qu’à peine l’esté dans les vastes guerets,
Commence de jaunir les thresors de Cerés.
Il juge qu’Alaric, qui les travaux mesprise,
N’aura que trop de temps pour sa haute entreprise :
Il sçait qu’aux champs latins l’hyver peu rigoureux,
Pour le soldat campé n’a rien de dangereux :
Il prevoit (ce demon qui voit plus clair que l’homme)
Le salut des Romains en la perte de Rome :
Il veut y mettre obstacle ; il veut en murmurer ;
Et quoy qu’il soit trop foible, il ne peut l’endurer.
Or pour choquer, s’il peut, la puissance divine,
Il discourt ; il medite ; il resve ; il imagine ;