vingt fois dans le même repas ; il faut offrir de tous les mets, de tous les vins avec un soin, avec une instance qui fatigue mortellement les étrangers. Il y a de la bonhomie au fond de tous ces usages ; mais ils ne subsisteroient pas un instant dans un pays où l’on pourroit hasarder la plaisanterie sans offenser la susceptibilité : et comment néanmoins peut il y avoir de la grâce et du charme en société, si l’on n’y permet pas cette douce moquerie qui délasse l’esprit et donne à la bienveillance elle-même une façon piquante de s’exprimer ?
Le cours des idées depuis un siècle a été tout-à-fait
dirigé par la conversation. On pensoit pour
parler, on parloit pour être applaudi, et tout ce qui
ne pouvoit pas se dire sembloit être de trop dans
l’âme. C’est une disposition très-agréable que le
désir de plaire ; mais elle diffère pourtant beaucoup
du besoin d’être aimé : le désir de plaire
rend dépendant de l’opinion, le besoin d’être aimé
en affranchit : on pourroit désirer de plaire à ceux
même à qui l’on feroit beaucoup de mal, et c’est
précisément ce qu’on appelle de la coquetterie ;
cette coquetterie n’appartient pas exclusivement
aux femmes ? il y en a dans toutes les manières
qui servent à témoigner plus d’affection qu’on n’en