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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

rôle de la comtesse Orsina, jeune maîtresse du prince, qu’il abandonne pour Emilie, est fait avec le plus grand talent ; c’est un mélange de frivolité et de violence qui peut très-bien se rencontrer dans une Italienne attachée à une cour. On voit dans cette femme ce que la société a produit, et ce que cette société même n’a pu détruire ; la nature du midi combinée avec ce qu’il y a de plus factice dans les mœurs du grand monde, et le singulier assemblage de la fierté dans le vice, et de la vanité dans la sensibilité. Une telle peinture ne pourroit entrer ni dans nos vers, ni dans nos formes convenues ; mais elle n’en est pas moins tragique.

La scène dans laquelle la comtesse Orsina excite le père d’Emilie à tuer le prince pour dérober sa fille à la honte qui la menace est de la plus grande beauté ; le vice y arme la vertu, la passion y suggère tout ce que la plus austère sévérité pourroit dire pour enflammer l’honneur jaloux d’un vieillard ; c’est le cœur humain présenté dans une situation nouvelle, et c’est en cela que consiste le vrai génie dramatique. Le vieillard prend le poignard, et ne pouvant assassiner le prince, il s’en sert pour