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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

paisiblement aux pieds de son lit, tandis que l’enfer de son propre cœur le prive de tout repos. Il envoie chercher le grand-inquisiteur pour le consulter sur la condamnation de don Carlos. Ce moine cardinal a quatre-vingt-dix ans, il est plus âgé que ne le seroit Charles-Quint, dont il a été le précepteur ; il est aveugle, et vit dans une solitude absolue ; les seuls espions de l’inquisition viennent lui apporter des nouvelles de ce qui se passe dans le monde : il s’informe seulement s’il y a des crimes, des fautes ou des pensées à punir. À ses yeux, Philippe II, âgé de soixante ans, est encore jeune. Le plus sombre, le plus prudent des despotes lui paroit un souverain inconsidéré, dont la tolérance introduira la réformation en Europe ; c’est un homme de bonne foi, mais tellement desséché par le temps, qu’il apparoît comme un spectre vivant que la mort a oublié de frapper, parce qu’elle le croyoit depuis longtemps dans le tombeau.

Il demande compte à Philippe II de la mort du marquis de Posa : il la lui reproche, parce que c’étoit à l’inquisition à le faire périr, et s’il regrette la victime, c’est parce qu’on l’a privé du droit de l’immoler. Philippe II l’interroge sur la condamnation de son fils : — « Ferez-vous