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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.


    l’intérêt personnel. L’anecdote connue d’Aristide, qui fit rejeter un projet de Thémistocle, en disant seulement aux Athéniens que ce projet étoit avantageux, mais injuste, est cité par M. Dumont ; mais il rapporte les conséquences qu’on peut tirer de ce trait, ainsi que de plusieurs autres, à l’utilité générale, admise par Bentham comme la base de tous les devoirs. L’utilité de chacun, dit-il, doit être sacrifiée à l’utilité de tous, et celle du moment présent à l’avenir, en faisant un pas de plus. On pourroit convenir que la vertu consiste dans le sacrifice du temps à l’éternité, et ce genre de calcul ne seroit sûrement pas blâmé par les partisans de l’enthousiasme ; mais quelque effort que puisse tenter un homme aussi supérieur que M. Dumont pour étendre le sens de l’utilité, il ne pourra jamais faire que ce mot soit synonyme de celui de dévouement. Il dit que le premier mobile des actions des hommes, c’est le plaisir et la douleur, et il suppose alors que le plaisir des âmes nobles consiste à s’exposer volontiers aux souffrances matérielles pour acquérir des satisfactions d’un ordre plus relevé. Sans doute il est aisé de faire de chaque parole un miroir qui réfléchisse toutes les idées ; mais si l’on veut s’en tenir à la signification naturelle de chaque terme, on verra que l’homme à qui l’on dit que son propre bonheur doit être le but de toutes ses actions ne peut être détourné de faire le mal qui lui convient que par la crainte ou le danger d’être puni, — crainte que la passion fait braver, — danger auquel un esprit habile peut se flatter d’échapper. — Sur quoi fondez-vous l’idée du juste ou de l’injuste, dira-t-on, si ce n’est sur ce qui est utile ou nuisible au plus grand nombre ? La justice