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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

compose, combien l’homme consciencieux seroit à l’aise ! comme tout lui paroîtroit clair en politique, tandis qu’auparavant une hésitation continuelle le faisoit trembler à chaque pas ! C’est cette hésitation même qui a fait regarder les honnêtes gens comme incapables des affaires d’état ; on les accusoit de pusillanimité, de timidité, de crainte, et l’on appeloit ceux qui sacrifioient légèrement le foible au puissant, et leurs scrupules à leurs intérêts, des hommes d’une énergique nature. C’est pourtant une énergie facile que celle qui tend à notre propre avantage, ou même à celui d’une faction dominante : car tout ce qui se fait dans le sens de la multitude est toujours de la foiblesse, quelque violent que cela paroisse.

L’espèce humaine demande à grands cris qu’on sacrifie tout à son intérêt, et finit par compromettre cet intérêt à force de vouloir y tout immoler ; mais il seroit temps de lui dire que son bonheur même, dont on s’est tant servi comme prétexte, n’est sacré que dans ses rapports avec la morale ; car sans elle qu’importeroient tous à chacun ? Quand une fois l’on s’est dit qu’il faut sacrifier la morale à l’intérêt national, on est bien près de resserrer de jour en jour le sens