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DE L’INFLUENCE DE L’ENTHOUSIASME.

L’esprit social est fait de manière que souvent on se commande de rire, et que plus souvent encore on est honteux de pleurer ; d’où celà vient-il ? De ce que l’amour-propre se croit plus en sûreté dans la plaisanterie que dans l’émotion. Il faut bien compter sur son esprit pour oser être sérieux contre une moquerie ; il faut beaucoup de force pour laisser voir des sentiments qui peuvent être tournés en ridicule. Fontenelle disoit : J’ai quatre-vingts ans, je suis Français, et je n’ai pas donné dans toute ma vie le plus petit ridicule à la plus petite vertu. Ce mot supposoit une profonde connoissance de la société. Fontenelle n’étoit pas un homme sensible, mais il avoit beaucoup d’esprit ; et toutes les fois qu’on est doué d’une supériorité quelconque, on sent le besoin du sérieux dans la nature humaine. Il n’y a que les gens médiocres qui voudroient que le fond de tout fût du sable, afin que nul homme ne laissât sur la terre une trace plus durable que la leur.

Les Allemands n’ont point à lutter chez eux contre les ennemis de l’enthousiasme, et c’est un grand obstacle de moins pour les hommes distingués. L’esprit s’aiguise dans le combat ; mais le talent a besoin de confiance. Il faut croire à