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DE L’INFLUENCE DE L’ENTHOUSIASME.

l’ermite de Prague dans Shakespear, que ce qui est, est, et que les théories n’ont point d’influence sur le monde. Ces hommes finissent par rendre vrai ce qu’ils disent ; car avec une telle manière de penser on ne sauroit agir sur les autres ; et si l’esprit consistoit à voir seulement le pour et le contre de tout, il feroit tourner les objets autour de nous de telle manière qu’on ne pourroit jamais marcher d’un pas ferme sur un terrain aussi chancelant.

L’on voit aussi des jeunes gens, ambitieux de paroître détrompés de tout enthousiasme, affecter un mépris réfléchi pour les sentiments exaltés ; ils croient montrer ainsi une force de raison précoce ; mais c’est une décadence prématurée dont ils se vantent. Ils sont pour le talent comme ce vieillard qui demandoit si l’on avoit encore de l’amour. L’esprit dépourvu d’imagination prendroit volontiers en dédain même la nature, si elle n’étoit pas plus forte que lui.

On fait beaucoup de mal sans doute à ceux qu’animent encore de nobles désirs, en leur opposant sans cesse tous les arguments qui devroient troubler l’espoir le plus confiant ; néanmoins la bonne foi ne peut se lasser, car ce n’est pas ce que les choses paroissent, mais ce qu’elles